Larry Merculieff sage aléoute
La sagesse des Aléoutes
J'ai découvert sa philosophie grâce à un article du net:
https://www.erudit.org/fr/revues/raq/2008-v38-n2-3-raq3864/039791ar/
Youri, gardien de la sagesse et des traditions du peuple des Vents: Le dernier chamane aléoute ?
Youri, Keeper of the Wisdom and Traditions of the People of the Wind: The Last Aleut Shaman ?
De: Annik Chiron de La Casinière
L'auteur de cet excellent document nous apporte bien des renseignements sur Youri et sa vision du monde.
On y lit:
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Ici, la relation d’un fait dont j’ai retranché le préambule, toujours dans le souci de conserver l’anonymat de mon répondant. Youri se trouva un jour appelé à accompagner une expédition sur une île abandonnée depuis très longtemps, en fait depuis un terrible massacre perpétré au cours de la première période très violente de la colonisation russe.
J’étais le premier Aléoute à retourner sur ces lieux depuis ce drame, qui a eu lieu en 1769. Tout le village avait été détruit, par un certain… Soloviev. Plus de 3000 personnes[11]. Personne ne voulait retourner là. Et j’ai pu le comprendre, en retournant sur cette île, parce que nous avons trouvé des centaines d’ossements, partout, dans l’herbe… Quand je pense à ce que notre peuple a vécu… Quelque part, les survivants ont pu trouver la force de continuer à vivre… Quelle chose incroyable !
Je marchais à l’écart du groupe et je faisais des prières et des chants en aléoute. J’utilisais des plumes d’aile d’aigle qui m’ont été données par des guérisseurs et des gens de médecine. Une m’avaient été donnée par une femme de médecine yupik, une autre par un homme de médecine lakota. Je n’ai pas dit que j’étais un chamane, les autres l’ont dit… Alors certains ont pensé que j’oeuvrais avec le Démon, à cause de l’Église orthodoxe. C’est ainsi que je constate que l’Église continue d’exercer de la pression sur les gens, enfin, je pense…
J’ai fait un gros travail de guérison sur moi-même, et je crois que cette guérison est absolument nécessaire pour notre peuple. Là -bas, il y a eu 3000 morts en quatre heures de temps. Oui… Et quand j’y étais, j’ai reçu un message : le peuple aléoute, notre peuple, n’a pas fait le deuil de cet holocauste. Il est resté dans la mémoire, et ce mal spirituel s’est transmis de génération en génération. Et les ancêtres sur cette île disent : le mal restera jusqu’à ce que vous en fassiez le deuil. Nous devons le faire. Et j’ai pensé aux Juifs et à l’holocauste. Maintenant, ils ont un musée de l’Holocauste, ils ont des aînés qui racontent ce qu’ils ont vécu, et alors les gens peuvent extérioriser leur douleur, toute leur douleur, et commencer leur guérison. Cela n’a pas eu lieu pour nous. Ce que j’ai retenu de ce voyage est que ces blessures sont ancrées profondément en nous, dans nos coeurs et dans nos corps, et que si vous regardez les maladies qui ravagent beaucoup de monde dans notre peuple, l’alcoolisme, la dérive des jeunes, spécialement les jeunes hommes, qui sont très très perdus, et tous les conflits et les combats, les maladies comme l’hypertension, les problèmes de coeur, le diabète, et toutes ces choses-là, c’est parce que nous n’avons pas laissé sortir de nous ces grandes souffrances. Le traumatisme est resté, il est encore là. On appelle ça, en médecine, le syndrôme post-traumatique d’après-guerre. Et les médecines occidentales ne marchent pas toutes pour guérir ça.
Alors, un des rôles du chamane est d’aider au processus de guérison, en allant au fond de l’obscurité que nous portons en nous, profondément, et d’apporter un espace de sécurité, un espace de réception pour cette douleur, pour qu’elle puisse être guérie. Alors les modes classiques de guérison, je veux dire les modes occidentaux, sont inadéquats, parce qu’ils agissent en surface. Lorsque vous parlez à des psychologues, ils vous parlent simplement du mental, pas vrai ? Et quand il s’agit d’un peuple opprimé, qui se transmet un traumatisme sur plusieurs générations, ils ne reconnaissent même pas le traumatisme comme réel.
Les chamanes, parce qu’ils ont des contraintes de responsabilités et d’existence légale, ils ne peuvent pas aller très loin… Il y a bien un effort pour faire revenir ce mystère à la surface, mais c’est acceptable seulement dans le domaine de l’art. Ainsi, beaucoup de gens, à cause de ça, doivent dénaturer le véritable usage des masques.
Vous savez, ces masques ont un sens très important, suivant la sorte de cérémonie que vous pratiquez. L’un des rôles du masque, lorsque vous le portez, est de vous rappeler, sous une forme physique, que nous ne sommes pas ce que l’on voit en apparence, nous sommes quelqu’un d’autre, regardant à travers ce masque. Et c’est une importante leçon, parce que dans le domaine spirituel nous sommes des êtres-esprits, et nous vivons dans un corps physique. Une autre fonction de l’usage du masque est réellement d’incarner l’esprit représenté par le masque. Ainsi, si c’est un animal, par exemple, il peut réellement se déplacer, arriver à l’intérieur de nous, afin que nous, créatures de Dieu, nous puissions rejoindre cette connexion, cette connexion animale. Et vous pouvez la vivre vraiment.
Et savez-vous, sur mon île, les gens pratiquent encore ce genre de choses, et ILS NE LE RÉALISENT PAS… comme la célébration du Nouvel An, par exemple. Le Nouvel An russe orthodoxe. Lorsqu’ils montent de courtes pièces satiriques, qu’ils les jouent dans la communauté, là les gens vont porter des costumes et des masques. Et une des traditions, c’est celle du boogy man, un être qui fait peur, une sorte de monstre! C’est toujours la même personne, qui joue ce rôle. Le père M. L., c’était le meilleur monstre que j’aie jamais vu. J’avais l’habitude de parler avec lui. Et un jour il m’a dit, il savait qu’il pouvait me faire confiance : « Mon grand-père était un chamane. Je le suis aussi. Mais je dois le cacher. Alors j’ai décidé de devenir prêtre. »
Ici, mon interlocuteur s’arrêta, conscient d’avoir dit quelque chose de très engagé. Il fit suivre cette pause d’un petit rire.
Mais il était et jouait un incroyable monstre, alors j’ai appris de lui, quand il faisait ça. Vous voyez, une partie de la tradition, on la pratique encore, mais on ne sait pas pourquoi. Et ensuite, ils doivent aller à l’eau et se laver, laver l’énergie de cette chose qui passe à travers nous lorsque nous portons des masques, et reprendre à nouveau notre esprit, et notre peuple ne le fait plus, ils ne sont pas sûrs d’où ça vient. En fait, c’est une vieille tradition chamanique.
Dans le chapitre V de son ouvrage sur le chamanisme, Michel Perrin (2001) tente de faire la distinction entre les chamanes et les prêtres. Selon cet ethnologue, « la comparaison entre prêtre et chamane pose le problème de l’immanence et de la transcendance ». Autrement dit, le prêtre vit dans un monde terrestre et n’a, à travers les offrandes, sacrements ou sacrifices, que des relations indirectes avec l’au-delà, un univers qui lui est transcendant. Au contraire, le chamane vit dans une immanence qui suppose une fusion entre le monde des hommes et celui des esprits ; une relation directe et immédiate s’établit avec l’au-delà au moment où il y fait appel au cours de cérémonies. On ne peut s’empêcher de croiser cette réflexion avec l’affirmation de Mousalimas à propos de la deuxième composante du système duel de l’Église orthodoxe, celui de la représentation du Divin. Et la suite du discours de Youri confirme cette incarnation du Divin immanent.
Se purifier dans la mer, c’est très important de faire ça, parce que lorsque vous jouez, un monstre par exemple, nous les êtres humains on est comme des antennes ou un poste émetteur-récepteur, on envoie notre énergie à l’extérieur, et on fait ça en permanence. Chaque être humain. Même les scientifiques confirment ce fait, et maintenant ils sont même capables de mesurer une partie de ce rayonnement. Lorsque, dans ce genre d’endroit, vous jouez un monstre, vous envoyez un message vers l’univers et cela va attirer en vous ce que vous incarnez. C’est difficile de parler de cela dans la société russe, la plupart des gens vont dire que vous complotez avec le Diable… Mais ce prêtre orthodoxe dont je vous parle, il comprend. Il ne s’agit pas du Diable. Il s’agit de la re-connexion, oui, de la re-connexion. Il y a longtemps, au début des temps, ou avant le début des temps, comme ils l’appellent, il n’y avait qu’un seul langage, dans le monde entier. C’était un langage spirituel qui permettait de communiquer avec les plantes, avec tout. Pour accéder à ce langage unique, il fallait être ce qu’on appelle un vrai être humain. Ainsi, Unangan veut dire les hommes, Yupiit veut dire les hommes, Inupiat veut dire les vrais hommes, Dénés veut dire les hommes… Et le sens de ce mot, c’est que les vrais êtres humains vont avoir ce genre de pratiques pour être en vie, se connecter, être présent ici en ce moment même, pour que toute mon intelligence humaine soit en oeuvre. Pas seulement mon cerveau. Tout mon corps, mes sens, mon intuition, tout va être clair. Mais ce qui interfère avec ça, c’est la suppression des émotions, lorsque nous nous déconnectons de nous-mêmes, de nos corps, et alors nous perdons une grande partie de notre intelligence, nous fonctionnons seulement avec notre tête.
Cette compréhension se retrouve avec Don marcelino, un autre amérindien Nazca.
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Aujourd’hui, nous avons encore des pratiques culturelles, des danses, des chants, mais nous en avons oublié le sens. Le propos de notre culture, c’est de faire en sorte que nous restions de vrais êtres humains. Par exemple, quand nous avons une émotion, il faut qu’elle soit exprimée. Avant il y avait des cérémonies de désolation. Alors on pleurait, on bougeait notre corps, on chantait et on parlait, pour que… cette énergie passe à travers le corps. Parce que si vous vous tenez raide, sans bouger, l’énergie ne peut pas passer. C’est le sens du mouvement. La même chose pour la voix, avec le chant, le ton, les tambours.
Et j’ai essayé d’être ainsi depuis ma plus tendre enfance, être capable d’utiliser tous mes sens. Par exemple, lorsqu’on part à la chasse. Les gens pratiquent encore certaines de ces traditions… Lorsque vous partez à la chasse, vous vous asseyez d’abord sur un rocher au bord de l’eau, et vous attendez heure après heure qu’une otarie vienne par là. Nous avons une connexion avec les otaries. Très jeune, j’ai appris cette connexion, avec les aînés. Ils me l’ont montrée, ils ne me l’ont pas dite, ils me l’ont montrée, et je l’ai expérimentée. Ainsi, j’en étais arrivé à un point tel qu’à l’âge de 11 ans, je pouvais sentir à cinq milles l’arrivée d’une otarie. Et cette information est si nécessaire pour un bon chasseur. Parce que vous avez besoin de vous préparer, vous pouvez rester huit heures à attendre l’otarie : lorsqu’elle arrive vous avez seulement quelques secondes : lorsqu’elle sort la tête de l’eau… Aussi vous devez être aux aguets. Ensuite, lorsque vous êtes en alerte, vous regardez votre montre, et finalement vous voyez l’otarie, chacune a son propre rythme de nage, certaines vont plus vite que d’autres, certaines plongent plus profond, et certaines plongent plus fréquemment… La raison pour laquelle c’est important, c’est parce que, quand elle vient dans votre ligne de tir, il faut tirer juste quand elle prend une grande respiration. Alors vous observez, et quand elle prend cette grande respiration, alors vous pouvez tirer.
(E)tre un vrai être humain, c’est ce propos: être connecté avec la Création d’une manière si intime qu’on peut la sentir, la humer. Et c’est le vrai propos de l’humanité.
Je crois qu’une des raisons pour lesquelles le chamane m’a parlé, c’est la préservation de notre mémoire. Nous devons préserver nos histoires. Et un jour, les gens comprendront pourquoi. Très jeune, j’avais l’habitude de rôder partout, de parler avec de vieilles personnes, de les écouter, recueillir les histoires. C’est extraordinaire, toutes ces histoires… Elles parlent des choses les plus difficiles avec un sens de l’humour, et jamais de rancune, jamais. Et je leur en suis reconnaissant, parce que j’ai appris de cela.
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Tout notre langage est tourné vers le travail sur notre territoire. Les anciens disent qu’il a été forgé pour le territoire d’où nous sommes issus. Par exemple, quand nous chassons l’otarie, nous employons un terme spécifique pour dire qu’elle est blessée mortellement, qu’elle fait une danse en rond, avant de mourir. Et dans ce simple mot, il y a toute une compassion, toute une émotion, la compréhension de… Et quand le mot est parti, il n’y en a aucun autre… La même chose pour le ton, le son employé dans cette langue. C’est un terme très difficile à comprendre. La vibration avec la terre. Ce langage a un pouvoir. Le pouvoir de nous guérir nous-mêmes, le pouvoir de nous re-connecter avec le secret de la création. Ce n’est pas seulement quelque chose pour l’identité culturelle, vous savez, c’est quelque chose de beaucoup plus profond, une résonance avec le corps. Notre langage a une résonance avec notre corps.
Conclusion de cet auteur :
Youri est-il le dernier chamane aléoute ? Mais être un chamane aujourd’hui, dans les cultures nordiques, qu’est-ce que cela veut dire ? Youri ne sait pas bien parler sa propre langue, ne joue pas de tambour, ne soigne personne, ne prédit pas l’avenir, ne parle pas de transes, ne dit pas qu’il a des visions, ni ne se vante de communiquer avec l’au-delà. Pas plus qu’il n’a été initié par un autre chamane, car si l’on en croit son récit, la seule empreinte « chamanique » qu’il ait jamais reçue, c’est son pseudo-baptême, rien d’autre. Sinon que le geste que ce « dernier chamane » a posé sur lui l’a profondément marqué jusqu’à aujourd’hui et probablement le poursuivra jusqu’à la fin de ses jours à tel point qu’il se sent investi d’une mission. Il n’est pas non plus cette « sorte de prophète voulant moraliser les pratiques indigènes » dont parle Perrin (2001 : 100) et ne se revendique d’aucune pratique thérapeutique ou d’aucune possession. Youri ne dit d’ailleurs à aucun moment qu’il est chamane. Il ne dit pas non plus qu’une société chamanique existe encore aujourd’hui aux Aléoutiennes, il dit seulement que le prêtre de son village était un chamane caché. Pour toutes ces raisons, on pourrait dire que non, Youri n’est pas un chamane.
N'est-ce pas ce qu'a exprimé Don Marcelino dans ses livres ?
Dans une note de bas d'article:
Depuis que cet article a été rédigé, l’auteure, en collaboration avec Larry Merculieff, alias « Youri », a publié en novembre 2009, aux éditions Cornac (Québec) un livre intitulé : Le Livre de la sagesse aléoute. Paroles d’un messager aléoute (Merculieff et Chiron 2009), dans lequel « Youri », qu’elle a à nouveau rencontré en octobre 2008, donne lui-même la réponse à la question posée dans le titre de l’article.
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Voici des extraits du livre en question:
C'est bien le mode de vie que nous enseignait également Don marcelino à travers ses livres.
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