guérisseurs et psychanalyse
Voici deux extraits, de livres différents sur le lien entre les guérisseurs et la psychanalyse
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Nouvelles conférences sur la psychanalyse
FREUD
Conférences faites au semestre d’hiver 1915-16 et répétées au trimestre d’hiver 1916-17
(Traduit de l’Allemand par Anne Berman, 1936 )
J'ai eu l'impression en traitant psychanalytiquement certains clients que les pratiques des devins professionnels offrent une occasion favorable de faire des observations particulièrement probantes sur la transmission des pensées. Il s'agit de personnes insignifiantes ou même de minus habentes exerçant quelque vague profession: cartomanciens, chiromanciens, graphologues, qui se livrent à des calculs astrologiques et qui prédisent ainsi l'avenir à leurs clients après avoir montré à ces derniers qu'ils étaient au courant de certains faits de leur vie passée ou présente. Les clients sortent en général satisfaits de ces consultations et ne témoignent d'aucune rancune si les prédictions ne se réalisent pas, par la suite. J'ai pu connaître et étudier analytiquement un certain nombre de cas semblables ; je vous conterai tout de suite les plus remarquables. Malheureusement le secret professionnel m'oblige à vous taire un grand nombre de faits, ce qui diminue la force convaincante de ces récits. J'ai soigneusement évité d'altérer la réalité. Écoutez donc l'histoire d'une de mes clientes et d'un devin.
Aînée d'une nombreuse famille, extrêmement attachée depuis l'enfance à son père, elle s'était mariée jeune ; le mariage la satisfit entièrement, mais une chose manquait à son bonheur : l'enfant, sans lequel l'époux chéri ne pouvait tout à fait prendre la place du père. Après plusieurs années de déceptions, elle décida de se soumettre à une opération gynécologique. C'est alors que le mari avoua être seul responsable, car une maladie antérieure au mariage lui avait rendu la procréation impossible. Elle supporta mal ce choc, la névrose s'empara d'elle et il devint évident qu'elle souffrait d'angoisses dues à des tentations. Pour la distraire, son mari l'emmena à Paris, à l'occasion d'un voyage d'affaires. Là, un jour qu'ils étaient assis dans le hall de l'hôtel, elle remarqua parmi le personnel un va-et-vient inaccoutumé, demanda ce qui se passait et apprit que « Monsieur le Professeur » venait d'arriver et qu'il donnait des consultations dans un bureau. Elle exprima le désir de tenter aussi un essai ; son mari refusa, mais elle mit à profit un moment d'inattention de celui-ci pour se glisser dans le cabinet de consultation et se trouva en présence du devin. Elle était alors âgée de vingt-sept ans, mais paraissait bien plus jeune ; elle avait ôté son alliance. Monsieur le Professeur lui fit poser la main sur une tasse remplie de cendres, étudia minutieusement l'empreinte, lui parla ensuite de toutes sortes de luttes qu'elle serait forcée de soutenir et conclut par cette assertion consolante qu'elle se marierait et serait, à 32 ans, mère de deux enfants. A l'époque où elle me raconta cette histoire, elle était très malade, âgée de 43 ans, et avait perdu tout espoir de maternité. La prédiction ne s'était pas réalisée, mais elle en parlait sans aucune amertume, et tout au contraire avec une sorte de satisfaction, comme si elle se souvenait d'un fait agréable. Il était aisé de voir qu'elle ne soupçonnait pas le moins du monde ce que pouvaient signifier les deux chiffres de la prophétie. Elle n'avait même pas la notion qu'ils pussent signifier quelque chose.
Vous trouverez que c'est là une sotte histoire, dénuée de tout intérêt, et vous vous demanderez pour quelle raison je vous l'ai racontée. Je partagerais entièrement votre avis si - et c'est là maintenant le point crucial - l'analyse ne nous permettait pas d'élucider cette prédiction, convaincante justement par l'explication de ses détails. Les deux chiffres annoncés jouent, en effet, un certain rôle dans la vie de la mère de ma malade. Cette mère s'était mariée sur le tard ; elle avait alors plus de 30 ans, et l'on répétait souvent dans la famille qu'elle s'était dépêchée de rattraper le temps perdu. Les deux premiers enfants - notre patiente d'abord - étaient nés la même année, l'intervalle entre leurs naissances respectives ayant été le plus court possible. A 32 ans, sa mère avait déjà réellement donné le jour à deux enfants. Voilà donc ce que Monsieur le Professeur avait dit à ma malade : « Consolez-vous, vous êtes encore très jeune et aurez le même destin que votre mère. Elle aussi n'a eu ses enfants qu'après une longue attente. A 32 ans vous serez mère de deux enfants. » Avoir le même sort que sa mère, la remplacer auprès du père, n'avait-elle pas ardemment souhaité cela? N'était-ce pas la non-réalisation de ce vœu qui commençait maintenant à la tourmenter? La prédiction lui avait annoncé que son souhait s'accomplirait malgré tout ; comment alors ressentir pour le prophète autre chose que de la sympathie?
Mais vous pensez donc que Monsieur le Professeur était au courant des dates de l'histoire familiale intime d'une cliente de passage ? Non, c'est impossible. Comment alors expliquer la notion qui lui permit d'exprimer dans sa prophétie, à l'aide des deux chiffres, le désir le plus ardent et le plus profond de la patiente? Il y a deux manières d'expliquer la chose. Ou bien l'histoire, telle qu'elle me fut racontée, n'est pas exacte, elle se déroula autrement, ou bien il faut admettre que la transmission de la pensée est un phénomène réel. On peut, il est vrai, penser aussi que la malade, après un intervalle de seize ans, a elle-même glissé dans ce souvenir les deux chiffres en question tirés de son inconscient. Rien ne m'autorise à faire pareille supposition, mais je ne puis la rejeter et je suppose que vous serez plus enclins à l'admettre qu'à croire en la réalité de la transmission de pensée. Si vous décidez en faveur de cette dernière, n'oubliez pas que c'est l'analyse seule qui a créé l'état de choses occulte, qui l'a découvert là où il s'était rendu méconnaissable.
Si l'on ne disposait que d'un seul cas semblable à celui de ma malade, il faudrait se contenter de passer outre en haussant les épaules. Personne ne songera à baser une croyance d'une si grande portée sur une unique observation Mais, croyez-en mon expérience, ce n'est pas là un cas isolé.
J'ai rassemblé une série de prophéties analogues et toutes m'ont donné l'impression que le devin ne faisait qu'exprimer les pensées et surtout les désirs secrets des personnes qui l'interrogeaient. C'est donc à juste titre qu'il faut analyser ces prédictions, comme il s'agissait de productions subjectives, de fantasmes ou de rêves fournis par les patients eux-mêmes. Naturellement, les résultats ne sont pas toujours également probants, à n'est pas possible de tirer immédiatement de tous les ces des conclusions plus rationnelles, mais, dans l'ensemble, la balance semble pencher vers la véritable transmission de la pensée.
L'importance du sujet traité exigerait que je vous cite tous mes cas, mais cela est impossible, Parce que la description nécessaire m'entraînerait trop loin et aussi parce que les détails que je serais contraint de fournir m'obligeraient à enfreindre les règles d'une obligatoire discrétion.
J'essaie d'apaiser ma conscience autant que possible en vous donnant encore quelques exemples.
Je reçois un jour la visite d'un jeune homme, étudiant fort intelligent, qui n'a plus à subir que l'épreuve du doctorat, mais qui ne se trouve pas en état de le faire. Il se plaint, en effet, d'avoir perdu tout intérêt pour ses études, toute faculté de concentration, toute possibilité même de rassembler ses souvenirs. Les faits qui ont procédé cette sorte de paralysie sont rapidement dévoilés ; c'est après s'être, à grand-peine, vaincu lui-même qu'il est tombé malade. Il a pour sa sœur un amour intense, mais toujours refréné ; elle lui rend sa tendresse. Tous deux aiment à se dire entre eux :
« Quel dommage que nous ne puissions nous marier ! » Un homme estimable s'éprit de cette sœur et lui plait aussi, mais les parents ne consentirent pas au mariage. Le couple malheureux fit alors appel au frère qui ne refusa pas son appui. Il leur servit d'intermédiaire pour la correspondance et, grâce à son influence, les parents finirent par céder. Il se produisit, pendant les fiançailles, un événement dont la signification se devine aisément. Notre jeune homme entreprit en compagnie de son futur beaufrère une périlleuse excursion en montagne. Non accompagnés d'un guide, les deux ascensionnistes s'égarèrent et se trouvèrent en danger de mort. Peu de temps après le mariage de sa sœur, il tomba dans l'état d'épuisement psychique dont nous avons parlé.
Après avoir, grâce à la psychanalyse, retrouvé son activité normale, il me quitta pour aller passer avec succès ses examens, mais, à l'automne de cette même année, il revint me trouver pour un temps assez court. Il me narra alors un bizarre incident qui s'était passé avant l'été. Dans la ville universitaire où il se trouvait, il y avait une devineresse très en vogue. Les princes de la maison régnante eux-mêmes n'entreprenaient jamais rien d'important sans l'avoir consultée. Sa manière de procéder était très simple : elle demandait la date de naissance d'une personne déterminée, sans s'enquérir de quoi que ce fût d'autre à son sujet, pas même des noms; ensuite elle consultait des traités d'astrologie, faisait de longs calculs et finissait par prophétiser au sujet de la personne en question. Mon malade décida de faire appel à son art secret pour son beau-frère. Il alla la voir et lui donna la date exigée.
Après avoir fait ses calculs, la prophétesse prédit que « la personne en question mourrait en juillet ou en août des suites d'un empoisonnement causé par des écrevisses ou par des huîtres ».
Mon patient termina son récit en s'écriant « Et voilà qui était tout à fait admirable! »
C'est à contrecœur que j'avais d'abord écouté cette histoire, mais en entendant cette exclamation, je me permis de demander au malade : « Que voyez-vous de si admirable dans cette prédiction? L'automne touche à sa fin, votre beau-frère n'est pas mort, sans cela vous me l'auriez raconté depuis longtemps. Donc la prophétie ne s'est pas réalisée ». « C'est vrai, me répondit-il, mais ce qui est étrange, c'est que mon beau-frère adore les écrevisses et les huîtres, et que, l'été dernier, il a été victime d'une intoxication par les huîtres. Il faillit même en mourir. » Quelle objection faire à tout ceci? Une seule chose m'irrita : ce fut de voir que ce jeune homme érudit et qui avait, en outre, subi une analyse couronnée de succès, n'était cependant pas parvenu à mieux saisir ce rapport. Pour ma part, au lieu de croire qu'on peut, à l'aide de tableaux astrologiques, prévoir la survenue d'une intoxication par les écrevisses ou par les huîtres, je préfère admettre que mon malade n'a pas encore surmonté la haine, dont le refoulement l'avait naguère rendu malade, contre son rival.
J'aime mieux penser que l'astrologue avait formulé une prédiction conforme aux désirs du client. « Mon beau-frère ne renoncera pas à son goût pour les huîtres et un beau jour il en crèvera ! »
J'avoue ne pouvoir expliquer autrement ce cas, sauf si j'admets que mon malade ait voulu se moquer de moi. Mais il semblait prendre au sérieux ce qu'il disait et ne fit jamais rien, ni à cette époque, ni plus tard, qui pût justifier pareil soupçon.
Voici un autre cas : un jeune homme occupant une belle situation a une liaison avec une demi-mondaine ; cette liaison est contrariée par une étrange obsession : de temps en temps il se sent obligé de torturer sa maîtresse en lui tenant d'ironiques et cruels propos jusqu'à ce qu'elle tombe dans le désespoir. A ce moment, il éprouve une sorte de soulagement, se réconcilie avec elle et lui fait des cadeaux. Mais maintenant, il voudrait bien se débarrasser d'elle, a peur de sa propre obsession et s'aperçoit que cette liaison nuit à son bon renom ; il désire se marier, fonder une famille. Comme il n'a pas lui-même le courage de rompre, il demande secours à la psychanalyse. Après une dispute, pendant le traitement, il se fait adresser par sa maîtresse une petite carte qu'il porte chez un graphologue. C'est là, déclare celui-ci, l'écriture d'une personne en proie au plus violent désespoir et qui se suicidera certainement ces jours-ci. En réalité, le fait ne se produit pas, la dame continue à vivre, mais l'analyse aide le jeune homme à se libérer. Il abandonne, cette maîtresse et courtise une jeune fille capable, espère-t-il, de devenir pour lui une bonne épouse. Peu après, il fait un rêve propre à montrer qu'il commence à douter des mérites de la jeune fille. En possession d'un échantillon de l'écriture de celle-ci, il le soumet à la même compétence. Les résultats de cet examen ayant confirmé ses doutes, il renonce à ce mariage. Pour être à même d'apprécier ces examens graphologiques, surtout le premier, il faut apprendre à connaître certains points de l'histoire secrète de notre homme. Dans sa prime jeunesse, avec tout l'emportement de sa nature passionnée, il était devenu amoureux fou d'une jeune femme, cependant plus âgée que lui. Évincé par elle, il avait tenté de se suicider et rien ne permet de douter de la sincérité de cette tentative. Peu s'en fallut qu'il ne mourût, et de longs soins furent nécessaires pour le remettre sur pied.
Cependant, cet acte de désespoir avait profondément ému la bien-aimée, qui lui accorda ses faveurs. Il devint son amant et lui resta dès lors secrètement attaché, la servant d'une manière tout à fait chevaleresque. Au bout de plus de vingt ans, quand tous deux eurent vieilli, la femme naturellement plus que lui, il sentit naître le désir de se débarrasser d'elle, de se libérer, de reconquérir son indépendance, de fonder un foyer et une famille. En même temps, se développa en lui le besoin longtemps refoulé de se venger de sa maîtresse. Celle-ci, par son dédain, l'avait. un jour poussé à mourir, eh bien, il voulait maintenant avoir la satisfaction de la voir, à son tour, chercher la mort parce qu'il l'abandonnait. Mais l'amour qu'il continuait à lui porter était encore trop fort pour que ce désir pût devenir conscient ; en outre, le chagrin qu'elle aurait ne serait pas assez violent pour qu'elle se réfugie dans la mort. C'est dans cet état d'âme qu'il en vint à se servir jusqu'à un certain point de la demi-mondaine comme d'un souffre-douleur, afin de satisfaire in corpore vili, sa soif de vengeance. Il se permit de lui faire subir tous les tourments susceptibles d'aboutir au résultat qu'il aurait voulu obtenir chez sa bien-aimée. Une seule circonstance révélait que le désir de vengeance était bien dirigé contre cette dernière : le fait qu'il l'avait prise pour confidente de sa nouvelle liaison et pour conseillère, au lieu de lui cacher sa trahison. La malheureuse, chue du rang de dispensatrice à celui de réceptrice, souffrait probablement plus de ces confidences que la demi-mondaine de sa brutalité.
L'obsession dont il se plaignait, dont il était la proie en face de la remplaçante et qui l'avait poussé à se faire analyser, avait naturellement été transférée de l’ancienne à la nouvelle maîtresse ; c'est de cette dernière qu'il voulait, sans y parvenir, se débarrasser. Je ne suis pas graphologue et ne fais pas grand cas de l’art de deviner le caractère d'après l'écriture. Quant à la possibilité de prédire par ce moyen l'avenir de la personne en question j'y crois moins encore.
Néanmoins, vous le voyez, quelle que soit l'opinion qu'on se fasse de la valeur de la graphologie, une chose est indéniable : le graphologue, en prédisant que l'auteur de la lettre allait bientôt se suicider, avait., mis en lumière un ardent désir secret du consultant.
Quelque chose d'analogue se produisit lors de la seconde consultation : ici, pas de désir inconscient en jeu, mais le doute naissant du consultant, son inquiétude, se trouvèrent traduits dans la réponse du graphologue. Grâce à l'analyse, mon malade réussit d'ailleurs à porter son choix amoureux en dehors du cercle magique où il se trouvait enfermé.
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Deuxième information :
La Sage aux champignons sacrés
Une autre fois, plus récemment, un couple d’étrangers m’a demandé de leur donner des petites choses parce que leur enfant de cinq ans avait des boutons dans la tête. C’est la mère du garçon qui a pris les enfants. Au cours de la veillée, l’enfant s’est mis à pleurer. Il a pleuré longtemps. J’ai eu la révélation que c’était sa propre mère qui était responsable de sa maladie. Christ! j’ai eu peur d’être si près de la dame, mais je me suis armée de courage et je l’ai prise par les cheveux :
— Livre-moi l’esprit de l’enfant, je lui ai dit en mazatèque. Donne-le moi. Donne-le-moi.
Je criais dans les oreilles de la dame, en lui tirant à toute force les cheveux.
L’enfant a cessé de pleurer, peu à peu, au fur et à mesure que la dame me rendait l’esprit du petit. La vérité, c’était qu’elle avait en elle un être mauvais qui envoûtait l’esprit de son fils.
A l’aube, le couple a emmené son enfant. Ils m’ont dit qu’ils me remerciaient pour mes soins. Bien qu’il eût toujours des boutons dans les cheveux, il avait bien meilleure mine qu’avant la veillée. La dame m’a dit aimablement au revoir. Mais elle n’a jamais su que c’était elle-même qui avait attrapé l’esprit de son fils et que c’était pour cela qu’il avait des boutons dans la tête.
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Conclusion: certains guérisseurs lisent dans la psyché (consciente et inconsciente) de leur patients et de la leur comme si c'était dans un livre ouvert.
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